Manitua - Février 2008
« Du 19 au 23 février, nous parcourons, Vanessa François, Benoît Drouillat et moi, la voie Manitua aux Grandes Jorasses.
Située entre No Siesta et l’éperon Croz, Manitua suit une ligne de dièdres très raides au cœur d’un monolithe de 400m. L’ensemble fait 1000 mètres. Ouverte en solo par le Slovène Slavko Sveticic du 8 au 10 juillet 1991, elle fait partie des voies très peu répétées de la face nord.
Manitua est le nom d’un ami de Slavko mort sur cette même montagne en 1990.
Slavko Sveticic, décédé en 1995 au Gasherbrum 4, fait parti des monstres sacrés de l’alpinisme slovène, tout comme son compatriote Tomo Cesen. Avant de se lancer dans le monolithe, il s’entraîne sur la goulotte Mc Intyre, qu’il parcourt en 4 heures (source : Vertical n°39), toujours en solo.
En février 1993, la voie est reprise par des alpinistes polonais en 3 jours également : la première hivernale est réalisée. Quelques années plus tard, elle est répétée en été et en libre (sauf le A3+ bien sûr) par J-M. Clerc, R. Escoffier, T. Gentet et A.Ghersen ; malheureusement l’un d’entre eux glisse en chaussons sur le névé de sortie obligeant toute la troupe à descendre en rappel !
La voie peut schématiquement se diviser en 3 parties. Elle emprunte les premières pentes faciles de l’éperon Croz qu’elle quitte par une goulotte « grade 4 » qui amène, par un névé, au pied d’une évidente ligne de dièdres.
Cette seconde partie très raide fait environ 400m. Elle est 100% rocheuse. Le topo original annonce VII+/A3+, traduction : 6c+/A? (les cotations d’artif ont bien évolué).
Enfin, les 300 derniers mètres sont plus ou moins communs avec l’éperon Croz à nouveau. Une dernière section d’escalade mixte devenue redoutable depuis qu’elle s’est asséchée. Nous avons pour notre part choisi de suivre ce fameux éperon Croz que je connaissais déjà, en « shuntant » les 3-4 longueurs en 4+/5 qu’avait emprunté Slavko.
Etant donné notre niveau technique et les conditions hivernales, nous partons « lourds », suivant le modèle qu’on pourrait appeler « l’école niçoise ». Nous trimbalons pas moins de 2 sacs de hissage et un sac de 40L qui fait quand même bien mal au dos. Celui qui est en tête hisse les sacs au moyen d’une poulie et d’un jumar. Un exercice long et besogneux, surtout dans les pentes peu fortes avec des béquets partout… On comprend pourquoi il nous a fallu presque une semaine : un bivouac tranquille à la rimaye (merci Luc pour l’aide au portage), 4 dans la face et un à la descente. Les emplacements sont gazeux mais corrects, une fois qu’on a creusé de bonnes plateformes.
Le 2ème est particulièrement original : nous nous sommes installés entre une immense écaille et la paroi, couchés sur un tapis de neige, ce qui rendait compliquée toute manœuvre de « popote ». Le comble c’est lorsqu’il s’est mis à neiger quelques centimètres… On a fait la gueule lorsque le réveil a sonné vers 5 heures, le duvet rempli de neige. Dans ces moments difficiles, le courage et la détermination de Vaness’ m’impressionnent. Elle porte haut les couleurs de la Belgique !
Le temps passe vite aux bivouacs. Nous buvons des thés, préparons nos « lioph’ », dégustons de la viande séchée et les deux kilos de compté préparés par la môman de benoît.
Les longueurs techniques nous prennent plusieurs heures à chaque fois. Nous ne sommes pas dans le plus pur style afin de gagner en efficacité, et ça nous arrange bien de toute façon (hum, hum…). L’un grimpe en tête, tandis qu’un second monte au jumar et aide à hisser les sacs. Le 3ème grimpe en déséquipant.
Cette voie en hiver, c’est parfois un peu la guerre. Lorsque, le casque bien vissé sur la tête, tu poses la pointe de ton « rambo » sur une écaille qui bouge, que tu dégaines un camalot jamais à la bonne taille, trempé de sueur malgré les -10°C, tu te dis qu’il existe encore des aventures à vivre, et à deux pas de la maison. D’ailleurs je me suis « ramassé » à deux reprises. Une première fois juste après un relais, j’ai tiré sur un Alien coincé dans du « pouding » et qui a lâché tandis que j’avais le pied dans une sangle ; bilan : 5 mètres de chute tête en bas et Vaness’ qui encaisse en direct sur le pontet, s’il vous plait. L’autre frayeur c’est un piton qui lâche dans une dalle, mais cette fois je m’y attendais, et puis fallait pas tirer dessus, après tout !
L’apothéose de Manitua, c’est la dernière longueur du monolithe, qui m’a fait traiter l’ouvreur d’affreux sadique. Pour évoluer en toute sécurité, la stratégie était la suivante : faire une sorte de «relais-bis » à mi-longueur pour protéger les copains en cas de gros vol. Mais à la sortie du A3+, il manque un spit de 8 probablement arraché ! La situation est critique puisque nous n’avons pas de tamponnoir. Cependant, nous apercevons quelques mètres à gauche d’autres spits plantés certainement par Bubu, correspondants à la dernière longueur de sa voie Le Nez et son crux en 7C… Quel flair cet Italien ! Nous nous rétablissons finalement par cette longueur que nous artifons copieusement au moyen de pitons à moitié plantés et de crochets improbables. La nuit tombe. C’était moins une.
Cette voie est certainement amenée à devenir classique puisqu’elle est surtout rocheuse et que la face à tendance à sécher de plus en plus. Le grand challenge consisterait à la libérer entièrement : avis aux supers grimpeurs.
Matériel à emporter : 2 jeux d’Aliens
1 jeu de petits coinceurs
Le topo original invite à prendre 60 pitons, une 30aine suffit largement
2 jeux complets de camalots jusqu’au jaune (et prendre un bleu)
Crochets
Tamponnoir.
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